Art et économie circulaire : le déchet au cœur de la création

Comment impliquer les créateurs dans les politiques de réemploi et/ou de développement durable ? Comment les artistes et les institutions se saisissent de la question du déchet et de la réutilisation des matières ?

18 avril 2019

Être messager de la cause environnementale en usant de son art, est un thème cher aux Canaux, qui pour en parler, ont accueilli une conférence le 18 avril, organisé en collaboration avec Marguerite Courtel et Creature, sur la thématique du réemploi au sein de la création artistique.

A cette occasion, se sont retrouvés :

Dans un premier temps, Esteban Richard, Pascale Peyret et William Amor pour présenter leur travail et témoigner des enjeux de leur engagement. Puis sont intervenues Lucie Marinier et Coralie Goyard pour aborder la question du rôle des institutions. 

Marguerite Courtel, -entrepreneuse de la communauté Women4Climate pour son projet Loopart- a introduit la conférence en explorant les différent aspects du secteur : l’art a souvent confronté le visiteur à son statut de consommateur-pollueur mais aujourd’hui s’interroge sur ses propres effets environnementaux. Alors, quelles réponses apportent les artistes et les institutions culturelles aux nouveaux enjeux d’économie circulaire ?

“Je veux réaliser un travail de sensibilisation grâce auquel les gens peuvent se sentir concernés.”

Esteban Richard, artiste plasticien défenseur des fond marins

Artiste plasticien originaire de Belle-Île-en-Mer et installé à Brest, Esteban Richard a choisi de lier sa passion à une cause qui l’importe, la préservation des milieux maritimes. En sillonnant la cité du Ponant, il a découvert un réel potentiel de créativité et a voulu y apporter l’héritage culturel de son île. Ses différents projets sont le reflet de l’inévitable conscience environnementale qu’il a développé, vivant depuis toujours en bord de mer. Sa problématique : Comment sensibiliser les citoyens aux enjeux environnementaux des milieux marins, par le biais de l’art ?

Il a été donc important pour lui de s’équiper de connaissances théoriques et de rencontrer des personnes qui n’étaient pas dans le secteur de l’art pour s’intéresser à d’autres pratiques, notamment des scientifiques, océanologues et biologistes.

Totem a été réalisé en coopération avec la Surfrider Foundation, association de protection de l’environnement des milieux aquatiques. “Ensemble, nous avons réalisé une collecte pendant plus de 6 mois sur la Bretagne, dans le but de représenter une réalité locale et de cartographier le déchet plastique en le replaçant dans son milieu.” Le tout premier Totem se trouve sur la rade de Brest et pèse 8 kg, poids proportionnel à la quantité de  déchets ramassés en 1h30.

L’idée est que les promeneurs soient interpellés par cet élément, et que l’oeuvre sorte de son milieu institutionnel et se place dans le paysage pour opérer sa mission de sensibilisation.

En mai 2018, il a poursuivi son travail jusqu’au Groenland. En partant de la Rochelle pour arriver sur le territoire arctique à bord du voilier Atka, un navire dont la vocation est de faire monter des scientifiques conjointement à des artistes pour sensibiliser sur les problématiques environnementales touchant les milieux polaires.

“Mon approche ne se veut ni moralisatrice, ni terre-à-terre, et ne parle pas du déchet en tant que tel”. Esteban veut réaliser un travail de médiation et de sensibilisation via un processus créatif grâce auquel les gens peuvent se sentir concernés. C’est ainsi qu’il intervient également dans le milieu scolaire, pour sensibiliser les plus jeunes à cette thématique.

“Prenez soin de cette installation comme il le faudrait avec notre Terre.”

Pascale Peyret, artiste photographe du D3E
Pascale Peyret est une artiste photographe qui a entrepris depuis 2005 une oeuvre d‘“archéologie numérique”.
En effet, sa série Green Memory est un travail autour de l’installation d’une ville miniature faite de composants électroniques. Au sein de cet espace, elle y a planté un blé ancien, le blé kamut. La mémoire historique de cette plante s’entremêle à la mémoire du data contenu dans ces composants électroniques. Le blé pousse à une vitesse telle qu’il submerge très rapidement la ville et la colonise.

Son travail a été exposé pendant la COP21 avec le message suivant : “Prenez soin de cette installation comme il le faudrait avec notre Terre.”  Elle cherche à diffuser un message positif : travailler avec le vivant et étudier la manière dont il peut être un allié à notre travail.
“C’est aussi l’occasion de parler de l’obsolescence programmée et de la valeur des choses, de poser un regard sur la façon dont fonctionne notre monde.”

A travers ses installations, ses vidéos et sa photographie, Pascale Peyret a cherché à interroger la mémoire du vivant, du végétal et des hommes dans leurs industries.

Le lien entre société urbaine technologique, nature etLe réemploi est pour elle un sujet central :
“Ces déchets sont effectivement une mine pour les artistes, des mines d’aujourd’hui, des mines au sens propre. Les composants électroniques qui se trouvent dans l’installation de Green Memory sont aujourd’hui recyclés, et en sortiront des métaux précieux.”

“Si l’on a créé un matériau à usage unique qui ne disparaît pas, pourquoi on ne l’exploite pas sur la durée ?”

William Amor, ennoblisseur de matière
Grand ami de la famille des Canaux, William Amor, est artiste plasticien et surtout ennoblisseur de matières, depuis 2015. Dans sa quête de légèreté, sa rencontre avec le déchet a été un déclic. Amoureux des fleurs et du vivant, il a tenté de jouer avec la fatalité de l’indestructibilité du plastique et de répondre à son questionnement : “Si l’on a créé un matériau à usage unique qui ne disparaît pas, pourquoi on ne l’exploite pas sur la durée ?”

Sa technique s’apparente au métier de la parure florale; il s’adapte à la matière, qu’il considère comme un matériau noble. Plus de 3500 heures de travail ont été nécessaires pour lui faire prendre la forme voulue et terminer l’installation qu’il a présentée à Hong-Kong. Le processus s’engage pour prouver que le déchet n’est pas un déchet, mais bien une matière première.  “Si l’on avait donné de la valeur au plastique, il ne serait pas dans la nature.”

Son installation, mesure 13 m de hauteur et 25 de circonférence et a entièrement été réalisée en déchets, à partir de sacs plastiques prêts à être détruits 

“On a qu’une vie, autant en faire une histoire, autant qu’elle soit jolie et qu’elle ait un impact.” Pour William, la fleur est la meilleure des ambassadrices pour porter cette matière, non pas en tant que déchet mais en tant qu’oeuvre

Son rapport à l’humain est aussi une partie essentielle de son engagement. Dans son atelier, Créations Messagères, il ne travaille pas seul. “J’ai voulu donner sa chance à un profil de personne qui est sensible pour moi, des personnes handicapées. J’avais envie de partager cette part de rêve, et leur montrer qu’ils sont capables. Ce sont des personnes qui peuvent se sentir incapables avoir accès à ce type de métiers. Je les forme à mon savoir faire. On peut faire des choses luxueuses avec du déchet.”

La seconde partie de la table-ronde portait sur comment les institutions s’emparent de la question du réemploi.  Certains artistes présents dans l’audience ont pu donner l’exemple de leurs travail; ateliers de réemploi textile, émulation par le recyclage de plastique, exposition d’objets prêtés…beaucoup de projet inspirants qui prouvent que l’économie circulaire se trouve partout.

Les grandes lignes du débat ont été les principales contraintes du réemploi dans l’organisation d’événements culturels, les potentielles solutions, et les méthodes déjà mises en place.

Les principales problématiques auxquelles font face les institutions :

  • Optimiser le stockage de matériaux, notamment par question de normes sécurité et assurance
  • Renouveler les caisses des chefs d’oeuvre pour renouveler assurance
  • Prendre en compte le temps réduit entre deux expositions (3 jours) qui se font au même endroit, pour réaménager

Solutions :

  • Développer de la créativité à partir de matières. Pas seulement dans l’art en soi, mais aussi dans les événements et expositions
  • Travailler avec des institutions plus petites (qui n’ont pas les mêmes obligations d’assurance)
  • Changer les matériaux( ex : bois au lieu du plâtre)
  • Trouver d’autres alliés pas du monde de l’art ou du réemploi qui ont un aspect pratique similaire (conférenciers et animateurs d’ateliers publics), trouver des marginaux sécants, qui ont des pieds dans différents univers et qui pourront interpréter chaque langage.
  • Offrir plus de formations en éco-conception (quels matériaux utiliser, de quelle origine, sont-ils démontables ?), travailler sur l’éducation
  • Essayer au maximum de rendre la scénographie plus minimaliste (exemple du White cube)
  • Sourcer les matériaux fabriqués de manière la plus écologique possible
  • Essayer progressivement d’intégrer la dimension de la réutilisation dans la mesure du possible dans les cahiers de charges
  • Penser dès le départ à mettre en place des matériaux et installations réutilisables, pour minimiser l’usage limité de réemploi de matériaux déjà existants, déjà utilisés (ex : métal)

 

La mise en place d’un process de réemploi total n’a pas encore été rendue possible, mais les institutions se posent de plus en plus de questions. Auparavant dans le monde de l’art, très peu de choses étaient possibles en économie circulaire. Un mouvement, quelque soit l’échelle à laquelle il intervient, est toujours un grand pas vers un monde de l’art plus responsable.

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