Loop, ou la consigne 2.0
La plateforme Loop propose aux consommateurs de retrouver leurs produits préférés en version zéro déchet grâce à un système de consigne.
La consigne, de l’histoire ancienne ?
Commençons par le commencement : d’où viennent les déchets ?
Les emballages à usage unique et les déchets de produits sont l’un des problèmes les plus envahissants pour notre planète. Environ un quart des déchets produits chaque année terminent dans nos océans tandis que le reste est, la plupart du temps, incinéré ou enfoui. Pratique et abordable, ce système de consommation linéaire s’est très largement imposé dans notre quotidien. À l’échelle mondiale, nous fabriquons et achetons actuellement 70 fois plus de produits que dans les années 50. Or 99% des produits achetés au cours des 12 premiers mois deviennent des déchets puisque la plupart d’entre eux ne sont pas acceptés par les systèmes de recyclage public.
Recyclage vs réutilisation
Le recyclage est important car il considère la notion de déchets comme une ressource utile dans le processus de fabrication. Cependant, et contrairement à la réutilisation, changer la nature d’un objet nécessite de l’énergie, tout comme la collecte et le tri des matériaux. La réutilisation d’un objet permet d’économiser du temps, de l’énergie et des ressources, ne nécessitant plus de systèmes de traitement des déchets. Les questions de recyclage sont donc cruciales, mais ça ne suffit pas : le recyclage est un symptôme du déchet.
Petite histoire de la consigne en France
Actuellement, le trajet d’une bouteille en France est le suivant : une fois vide, elle est jetée, puis brisée, puis fondue dans un four à 1 500 °C pour recréer une nouvelle bouteille. Jusque dans les années 1960, pourtant, un autre circuit dominait : la consigne, une petite somme supplémentaire versée par le consommateur pour l’emballage, généralement du verre contenant un liquide (lait, bière, vin, etc.), était restituée au retour de l’emballage en magasin. Le verre étant un matériau très résistant, une bouteille pouvait être réutilisée jusqu’à cinquante fois.
Malheureusement, la société de consommation a peu à peu fait disparaître cette pratique. Le système de consigne n’a pas résisté à la multiplication des emballages en plastique, à usage unique… et à effet durablement néfaste sur l’environnement en raison de la grande quantité de déchets qui en découle. Les publicitaires se sont mis à vanter la qualité prétendument plus hygiénique d’une bouteille à usage unique. D’autre part, en se séparant d’une bouteille réutilisable et identique à celle des concurrents, les industriels ont pu commencer à se différencier et ainsi mettre en avant leur propre produit. Une disparition d’autant plus regrettable que la consigne limite l’usage des ressources naturelles utilisées et permet d’économiser jusqu’à 75 % d’énergie et 33 % d’eau par rapport au recyclage, selon une étude menée en Alsace et reprise par la fondation Nicolas Hulot.
Bien que disparu en France, ce système fonctionne encore chez nos voisins européens. En Allemagne, la majorité des emballages de boissons est consignée : grâce à ce système, le taux de plastique recyclé est de 40 %. Globalement, on constate qu’en Europe, les pays qui gèrent le mieux leurs déchets sont aussi les pays qui ont mis en place un système de consigne.
Vers un retour de la consigne
Si la consigne tend à disparaître de l’imaginaire collectif des consommateurs, certains secteurs l’utilisent encore (bouteilles et fûts en restauration, palettes en logistique, emballages dans l’automobile, bidons et fûts en chimie…). Le Gouvernement français, autour de la feuille de route économie circulaire, a annoncé début 2018 un possible retour de la consigne. Cette nouvelle consigne s’orienterait prioritairement vers les bouteilles en plastique, les canettes en aluminium et les piles. Le but? Augmenter le taux de recyclage du plastique qui n’atteint que 22 % dans l’hexagone. Le Gouvernement français espère ainsi atteindre l’objectif 100 % de recyclage des plastiques en 2025. Aujourd’hui, la consigne se réinvente dans de nouvelles applications, et les initiatives sont nombreuses.
Focus sur Loop, le projet de site e-commerce qui réinvente la consigne
Le concept
La société TerraCycle spécialisée dans le recyclage des déchets et plusieurs géants de l’agro-alimentaire se sont associés pour créer un supermarché en ligne d’un nouveau genre. La plateforme Loop propose aux consommateurs de retrouver leurs produits préférés en version zéro déchet grâce à un système de consigne. Son objectif ? Séduire des consommateurs hors du circuit de niche du vrac et enclencher un cycle vertueux de réduction d’emballages chez les géants de l’agroalimentaire et de la cosmétique. Le concept mise sur une écologie circulaire 2.0 en mixant le commerce en ligne au recyclage et à la vieille pratique de la consigne.
Une centaine de produits éco-conçus sera disponible dans un premier temps. « Ce nombre s’étendra en même temps que le portefeuille de partenaires », précise Laure Cucuron, directrice générale de TerraCycle Europe qui évoque jusqu’à 500 références d’ici trois mois.
Comment ça marche ?
Comme sur n’importe quel site de e-commerce, le consommateur n’aura qu’à sélectionner les produits qu’il souhaite acheter. Ils recevront alors dans un sac à compartiment (destiné à éliminer les cartons et autres emballages) tous leurs produits contenus dans des récipients spécialement conçus pour être réutilisés plusieurs centaines de fois. Une fois les produits terminés, un transporteur viendra récupérer le sac avec les emballages non pas pour les jeter ou les recycler mais pour les renvoyer afin qu’ils soient nettoyés, stérilisés puis remplis une nouvelle fois et réexpédiés. Ces deux dernières opérations seront assurées par les marques. Ce sont les équipes de Loop qui s’occupent de nettoyer et de stériliser ces contenants.
Pour les utilisateurs, Loop permet ainsi de continuer à consommer leurs produits préférés tout en évitant leurs emballages jetables, moyennant tout de même un surcoût qui sera récupéré une fois les récipients rendus selon le principe de la consigne.
Le prix de la livraison dépendra du taux de remplissage du sac afin de maximiser le transport. S’il est plein, la livraison sera gratuite. Le transport sera assuré par des camions dont les courses seront préalablement optimisées. En d’autres termes, « les camions livreront ou enlèveront les produits si les arrêts sont sur leur trajet », indique Laure Cucuron, qui prévoit aussi des dépôts en point colis ou dans des consignes. Malgré le transport, « à partir de cinq réemplois, l’emballage a un impact carbone inférieur à ceux des objets à usage unique livrés par le e-commerce classique », assure-t-elle encore en se référant aux analyses de cycle de vie réalisées par l’entreprise de recyclage.
Les partenaires
Pour offrir cette possibilité avec Loop, TerraCycle s’est associé à 25 multinationales avec qui la firme a travaillé pour mettre au point des emballages durables et un système efficace de livraison et de remplissage. Pour TerraCycle, l’appel à des multinationales garantit à la fois la visibilité de l’initiative auprès du grand public et sa sensibilisation à un nouveau mode de consommation et une capacité de transformation du marché à grande échelle, à l’heure où le vrac et la consigne reste encore des marchés de niche.
Liste des partenaires : https://maboutiqueloop.fr/brand-partners
Pour les marques, les enjeux tout comme les investissements sont importants. Selon TerraCycle, les multinationales impliquées auraient chacune investi entre un et près de trois millions d’euros, auxquels s’ajoutent 250.000 dollars de frais de participation à la plateforme. Il s’agit pour eux d’une occasion de valoriser leur politique environnementale. « C’est à nous distributeurs et grands producteurs de joindre nos forces et de prendre ce risque car cela implique des changements de production qui ne sont pas, à ce stade, tenables par des PME », souligne ainsi Bertrand Swiderski, directeur développement durable de Carrefour.
Un développement rapide
Le cercle de partenaire devrait s’agrandir : « le dispositif va se développer parallèlement à des synergies », indique Laure Cucuron. Le projet devrait ainsi monter en puissance dans les prochains mois. Dans un premier temps, le stockage, la préparation de commande et l’envoi seront assurés par les opérateurs de TerraCycle. Certaines opérations pourraient, selon le succès rencontré, être ensuite directement intégrées par le distributeur. En France, Carrefour va déployer progressivement Loop dans son offre e-commerce. Pour le moment, il s’agit du seul distributeur associé au projet en France, protégé par une exclusivité de quelques mois. D’autres distributeurs pourront, à terme, rejoindre le développement de Loop en France.
Au cours de l’année 2019, le supermarché en ligne devrait être disponible dans d’autres pays comme le Royaume-Uni, le Canada et le Japon. « Pour démarrer, Loop sera ouvert dans les grandes villes, mais nous avons l’ambition de répliquer le modèle pour le rendre accessible à un maximum de personnes », précise la directrice générale de TerraCycle.
En savoir plus : https://maboutiqueloop.fr/