Conférence – La Ville de demain face aux risques d’effondrement

Jeudi 11 juillet, la Terrasse des Canaux a accueilli sa première table ronde de l’été 2019. Des experts nous ont exposé leur vision de la collapsologie – autrement dit l’étude de l’effondrement de la civilisation thermo-industrielle, né de la convergence de plusieurs crises entre elles – et les enjeux auxquels la Ville de Demain devra répondre pour faire face à ce risque.

La conférence a été animée par :

  • Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres et Présidente de Génération Ecologie
  • Alice Canabate, sociologue, chercheuse au Laboratoire de Changement Social et Politique de l’Université Paris-Diderot, membre de l’Institut Momentum et Vice Présidente de la Fondation de l’Ecologie Politique
  • Enzo Lesourt – Docteur en philosophie politique et conseiller spécial d’Eric Pioll, maire de Grenoble
  • Vincent Mignerot, écrivain et chercheur indépendant en Sciences Humaines, fondateur de l’association Adrastia
  • Arthur Keller, ingénieur, spécialiste des risques systémiques et des stratégies de résilience
  • Marie Geffroy, freelance en communication au service de l’écologie

 

En 1972, déjà, l’alarme avait été donnée par des chercheurs américains du MIT – sous la direction de Donella et Dennis Meadows – dans un rapport intitulé “Les limites à la croissance (dans un monde fini)”. Ce rapport a modélisé différents scénarios et les seuls qui ne menaient pas à l’effondrement de la société d’ici 2100 étaient les modèles décroissants.

Si, à l’époque, le rapport a été reçu avec circonspection, il en est tout autrement aujourd’hui.

De plus, étudier l’effondrement dans le contexte de la ville est particulier dans la mesure où les villes sont extrêmement vulnérables aux ruptures de continuité d’approvisionnement ; Paris, en effet, ne dispose que de trois jours d’autonomie alimentaire en cas de catastrophe.

Nos experts ont lancés les échanges en présentant, chacun à leur tour, leur définition de la collapsologie et les enjeux que recouvre la notion.

Ainsi, pour Arthur Keller, reprenant une définition de l’ex ministre de l’Environnement Yves Cochet, l’effondrement est le processus à l’issue duquel les besoins de base ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. Il précise sa propre définition : un effondrement est un processus incontrôlé de décroissance des flux et de décomplexification d’une société à travers lequel on bascule de systèmes hétéronomes vers une autonomie contrainte.

                  

Une illustration parmi d’autres : le problème du phosphore. Les sols cultivés en intensif depuis longtemps sont incapables de recycler cet élément chimique indispensable à toute vie, étant donné qu’on en a exterminé la microfaune. Par conséquent, la production alimentaire est tributaire d’un apport permanent d’amendements phosphatés provenant de carrières et de mines dont 80% des réserves se situent principalement dans le Sahara occidental. Or, le pic de phosphore étant proche (années 30 ou 40), la ressource va devenir contrainte et tout le monde n’y aura plus accès. Les gens devront donc produire sans engrais extérieurs, ce qui implique un bouclage des cycles et des sols régénérés.

Pour Vincent Mignerot, l’effondrement n’est pas quelque chose d’inédit, sans ancrage dans le passé. Ce qui va disparaître, c’est une partie des avantages que l’humanité s’est procurée de son environnement pour résister aux diverses agressions extérieures (naturelles, alimentaires…). Nos sociétés ont régulièrement levé des cliquets malthusiens, autrement dit, elles ont su répondre aux contraintes extérieures qui auraient pu impacter le développement démographique. Le dernier en date a permis au cours du 20ème siècle, par des solutions techniques et scientifiques, de déplafonner les rendements agricoles comme jamais auparavant. Néanmoins, la croissance ne peut être infinie…

Pour Alice Canabate, la collapsologie est un terme très récent, composite d’une série de données scientifiques, voire de disciplines. C’est un outil utile car il permet de vulgariser les concepts, mais cela peut également être le cheval de Troie de certains mouvements de la collapsologie, et notamment le survivalisme.

Il est par ailleurs essentiel de distinguer tous les enjeux qui sont sous-tendus. Ils sont en effet nombreux, et sont relatifs à la nature de la société thermo-industrielle dans laquelle nous vivons, ainsi qu’à des choix historiques et à toute une série d’avatars contemporains : technicisme, économicisme, rapport à la science, au progrès…

Pour Enzo Lesourt, s’il y a un endroit où engager une résistance par rapport à l’effondrement, c’est bien la ville. Si les états disparaissent, les villes, elles, durent et survivent aux effondrements politiques. Cependant, les Trente Glorieuses et l’accélération de la société consumériste qu’elles ont induite ont changé la donne : la ville capitaliste est alimentée par des fluxs permanents dont elle est dépendante. Comment dépasser le modèle de la ville des Trentes Glorieuses ?

Quant à Delphine Batho, elle nous a rappelé qu’à sa construction en 1802, le bassin de la Villette n’était pas un canal mais une réserve d’eau potable, qui a permis au quartier d’être épargné par le choléra dans les années 1830 !

Ce genre de système résilient est d’autant plus nécessaire aujourd’hui dans un contexte “d’overshoot” urbain, accru par une métropolisation du monde et une urbanisation exponentielle. Au rythme actuel, les deux-tiers des bâtiments qui existeront en 2050 auront été construits après l’an 2000.

Nous sommes dans une forme de déni vis-à-vis de ce qu’il se passe, et en termes de réflexion sur ce qu’est une ville résiliente et sur la réduction de l’interdépendance d’une ville, nous sommes très loin du compte.

Par ailleurs, on ne peut pas circonscrire l’effondrement au simple plan financier. Le rapport Meadows avait également inclus la question démographique. Trente ans plus tard au moment de la crise des subprimes, Meadows a publié un article expliquant que l’effondrement financier avait entraîné un effondrement économique, puis une crise économique globale : tous ces effondrements ne sont finalement que les reflets d’une même entité !

Il est néanmoins très difficile d’imaginer à quoi pourrait ressembler un effondrement total, c’est-à-dire à la fois financier, économique, social avec un accroissement des inégalités et un effondrement écosystémique. Si tout cela se produit en même temps, on assiste à des données particulièrement alarmantes.

                  

Alors, quelles solutions pouvons-nous envisager ?

L’institut Momentum a publié une étude intitulée “Ile de France, une biorégion résiliente en 2050 ?” qui s’est penchée sur toutes les politiques de résiliation possibles, et notamment la réutilisation de ce qui existe déjà, comme des anciennes voies de chemin de fer.

Pour Enzo Lesourt, il est primordial que l’on puisse agir plus efficacement au niveau de l’échelon de la ville ; en effet, dans le système de la cinquième République, bien que les villes agissent directement au quotidien pour leurs habitants, elles n’ont pas les pouvoirs dont dispose l’Etat central.

La municipalisation des ressources est également un levier d’action efficace ; en effet, l’eau de Grenoble – dont l’exploitation et la distribution ont été remunicipalisées en 1995 – est aujourd’hui l’une des moins chères de France.

En ce qui concerne le problème du phosphore, Arthur Keller évoque plusieurs stratégies : en zones rurales, généralisation des toilettes sèches ; en zone périurbaine, équipement des quartiers en fosses à vidanger ; en ville, séparation des eaux grises (eaux de lavage) et des eaux-vannes (eaux des sanitaires). Après traitement/compostage, ces matières pourraient être revalorisées comme intrants agricoles, évitant la perte irréversible du phosphore (et d’autres nutriments) dans les cours d’eau… jusqu’à l’océan.

Enfin, pour Delphine Batho, la question de réinventer le rapport urbain/végétal est particulièrement structurante. Une étude récente – publiée par l’Académie Américaine des Sciences – montre notamment que les enfants ayant accès à davantage d’espaces verts avaient beaucoup moins de risques de développer des troubles psychiatriques à l’adolescence et à l’âge adulte. La question des espaces verts est donc déterminante pour notre mental.

En définitive, ce n’est pas la Ville de Demain qui menace de s’effondrer : les effondrements sont une réalité de la Ville d’Aujourd’hui.

 

Un grand merci à nos intervenants pour la qualité de leurs échanges lors de cette table ronde passionnante !

Retrouvez les photos de la conférence.

Pour aller plus loin :

  • FABUREL, G. (2018). Les métropoles barbares: Démondialiser la ville, désurbaniser la Terre. Paris : Le passager clandestin
  • GRAEBER, D. (2011). Dette, 5000 ans d’histoire. New York, NY : Melleville House.
  • HOPKINS, R. (2010). Manuel de transition – de la dépendance au pétrole à la résilience locale. Montreal : Ecosociété Editions
  • MIGNEROT, V. (2017). Transition 2017: Réformer l’écologie pour nous adapter à la réalité. Paris : Editions Solo
  • REY, O. (2014). Une question de taille. Paris : Editions Stock
  • SINAÏ, A. (dir). (2013). Penser la décroissance. Politiques de l’Anthropocène. Paris : Presses de SciencesPo.
  • SINAÏ, A. (dir). (2015). Economie de l’après-croissance. Politiques de l’Anthropocène II. Paris : Presses de SciencesPo.
  • SINAÏ, A. et SZUBA, M. (dir). (2017). Gouverner la décroissance. Politiques de l’Anthropocène III. Paris : Presses de SciencesPo.
  • STEEL, C. (2008). Hungry City: How Food Shapes Our Lives. London : Vintage