Lettre d’Elisa Yavchitz, Directrice Générale des Canaux depuis la Cop 26 à Glasgow

De retour de Glasgow, avec le Président des Canaux, Yann Arthus Bertrand, je voulais partager nos pérégrinations et interrogations sur la COP26.

Le dernier rapport du GIEC, publié en août est précis sur notre avenir: les changements d’ici 2040, seront sans précédent depuis des milliers, voire des centaines de milliers d’années. 

Les gaz à effet de serre liés à l’activité humaine vont augmenter autant d’ici vingt ans, que depuis les 150 dernières années, c’est-à-dire depuis le début de l’ère industrielle. 

Les conséquences sont sans appel: pluies intenses et inondations dans de nombreuses zones, sécheresses dans d’autres, fonte des glaciers, montée du niveau des océans, érosion du littoral, disparition de certains pays sous l’eau, dont la moitié du Bangladesh, le pays du Professeur Yunus, le parrain des Canaux !

Nous allons tous être impactés ! Les dômes de chaleur de cet été au Canada, les feux terribles en Russie, en Grèce, en Turquie après ceux qui avaient déplacé des milliers de personnes à San Francisco…

Alors, qu’allons nous faire? La COP26 peut-elle nous donner des réponses

Où en sont les négociations, puisque c’est le but d’une COP: prendre des décisions politiques à l’échelle mondiale, pour enrayer les émissions de gaz à effet de serre, qui sont produits par l’utilisation des énergies fossiles : pétrole, méthane, gaz, charbon… Les responsables politiques vont-ils enfin décider de réduire les consommations d’énergies fossiles à l’échelle planétaire alors que même pendant l’année de la COVID, la vente des barils a augmenté par rapport à l’année suivante ?

Une conseillère du premier ministre Croate, Vice présidence de cette COP26, m’a déprimée. A la question, que pensez vous de la COP 26? Elle répond qu’elle est déçue, car son logement est trop éloigné et qu’elle n’a pas de FastPass. Consternation !… Et les négociations? L’avenir de la planète? 

Laurent Fabius, rencontré alors que nous étions invités avec les négociateurs par le Prince Charles, lui est très positif. Il est tout heureux de nous annoncer que le GIEC parle d’une augmentation à 2,7 degré d’ici 20 ans et que sans les COP on aurait probablement fait pire.  Oui mais… avec 2 degrés d’augmentation les conséquences sont terribles, alors 2,7 ? 

Le Prince lui fait sa part :  buffet vegan, organisation d’une projection du film Legacy de Yann, exposition sur la mode responsable. Dans son discours, il exhorte les négociateurs à prendre les bonnes décisions.

Un déjeuner avec Yann Françoise m’a remonté le moral. Depuis vingt-cinq ans, il suit toutes les COP et les négociations de la diplomatie climatique pour la Ville de Paris et a construit le Plan Climat de la Ville. Selon lui, certes les décisions ne sont pas encore à la hauteur, mais la prise de conscience internationale s’impose. Le développement durable qui intéressait si peu de monde au début de sa carrière, est aujourd’hui à l’agenda des Gouvernements… Peut-être un jour prendront-ils les décisions indispensables. En attendant, comme lui, une armée de fonctionnaires de l’ombre négocie, introduit des alinéas dans des rapports, des accords…et les journalistes les relaient aux quatre coins du globe.

Et Greta ? J’ai été émue et heureuse de voir l’icône qu’elle est devenue pour une génération de jeunes activistes. Sa fragilité, sa petite taille, sa voix, sa rage et ses larmes appellent à l’engagement.

Dans les rues de Glasgow, nous étions 100 000 à marcher sous la pluie, le samedi avec des banderoles, des chants, des danses, des drapeaux, la joie d’être ensemble et de se croire nombreux à partager la même prise de conscience et l’envie de changement rapide.

Une évidence s’impose aussi:  la nécessaire convergence des combats. Les enjeux climatiques doivent intégrer les enjeux sociaux car pour beaucoup d’entre nous, joindre les deux bouts est déjà si difficile qu’une augmentation des prix des biens essentiels n’est pas envisageable.

Dans les couloirs de la Green Zone (l’espace dédié aux ONG mais plutôt occupé par des entreprises), j’ai pu rencontrer une nouvelle génération de militants

Anne LeCorre a fondé le Printemps écologique, le premier syndicat axé autour des enjeux sociaux et écologiques: les jeunes cadres exigent que ces questions soient au cœur de la transformation des entreprises pour lesquelles ils vont travailler. Quentin Bordet, a développé au sein du BCG un collectif rassemblant des collègues décidés à mettre l’environnement dans leur quotidien de travail. Les Collectifs essaiment maintenant dans d’autres grands groupes.

Mais surtout j’ai croisé un peu partout des «fresqueurs», des bénévoles engagés autour de la Fresque du Climat. La Fresque est une méthode très efficace pour faire comprendre les enjeux et les conséquences des changements climatiques. Ils étaient 250 dans les couloirs de la Green et de la Blue Zone à présenter la Fresque aux décideurs, aux politiques pour se répandre dans le monde entier. Leur énergie est incroyable ! Ces milliers de fresqueurs ont déjà formé 240 000 personnes en 2021 et vise le million d’ici fin 2022. Un modèle économique très futé, leur donne la clé de la réussite de ce projet fou, qui peux changer la donne, en aidant à mieux comprendre les enjeux à grande échelle.

Enfin et surtout, j’ai pu échanger tous les jours avec Yann, argumenter, lire, débattre, passer de l’espoir au désespoir, rigoler. Yann n’arrête jamais de parler des solutions à mettre en œuvre. Il ne croit pas beaucoup en la politique, mais garde suffisamment d’espoir en l’humanité, pour continuer à faire des films magnifiques, pour inspirer et nous inciter à protéger la planète, sauver les animaux, préserver la flore…Dans sa vie quotidienne, il a tout changé : plus de viande, plus de voyage en avion, de la nourriture bio, il accueille chez lui des réfugiés, achète des terres pour les rendre à la nature sauvage… Quel modèle…

Autour de Yann, j’ai croisé des gens qui lui ressemblent et qui agissent concrètement et à grande échelle. Surami, princesse du Bangladesh, qui consacre toute son énergie à aider les plus pauvres, premières victimes du dérèglement climatique. Son organisation compte aujourd’hui 2 000 employés, au service de millions de personnes dont la vie est bouleversée. Sebastiao Salgado, infatigable photographe des humains et de la planète, vient de passer sept ans à photographier la Forêt amazonienne et la déforestation. Avec sa femme, il a reboisé la ferme de son père, en y plantant des millions d’arbres, ils ont relancés une forêt qui était devenue un désert. Esmeralda, princesse de Belgique et militante activiste, experte des questions climatiques est engagée auprès des peuples autochtones…De toutes ces personnes se dégagent une telle énergie, une urgence à agir… Elles sont porteuses de solutions pour le climat, c’est sûr. Les responsables politiques doivent jouer leur rôle, mais chacun à son niveau, peut prendre sa part…

Si la COP sert à rassembler toutes ces personnes, toutes ces énergies, afin qu’elles repartent déterminées à continuer, regonflées, comme je le suis, elle est déjà utile… même si, je suis d’accord avec Yann, aujourd’hui les engagements des États sonnent creux.

Quant à nous aux Canaux, quelle est notre part ?

Notre mission est de soutenir les entreprises engagées pour la planète et la solidarité. Il me paraît donc indispensable de mieux les aider à contribuer à un monde décarboné. Comment ? En leur montrant des solutions pour mettre en place une stratégie zéro carbone : nouvelle mobilité, logistique propre, énergies renouvelables, production locale… Nous devons nous appuyer sur les experts et les outils développés par nos partenaires. Sensibiliser, former, accompagner et mettre en lien… et ainsi nous ferons notre part car la planète en a besoin.

Elisa Yavchitz

Directrice Générale des Canaux