Marchés réservés et loi ASAP – Le point de vue de Patrick Loquet
Patrick Loquet, Maître de conférences en droit et Consultant achats socialement responsables, nous livre son analyse sur un amendement à la loi ASAP (Accélération et Simplification de l’Action Publique) qui prévoit d’ouvrir la possibilité de réserver un même marché public à la fois aux EA, aux Esat et aux SIAE.
La procédure des marchés réservés est issue d’une directive européenne du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés. Applicable en France depuis le décret du 26 novembre 2004 au secteur du travail protégé et adapté, elle est étendue dix ans plus tard au secteur de l’insertion par l’ordonnance du 23 juillet 2015.
Les deux dispositifs figurent aux articles L2113-12 (handicap) et L2113-13 (insertion) du code de la commande publique.
La loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 a introduit une nouveauté en modifiant l’article L2113-14.
Désormais « un acheteur peut réserver un même marché ou un même lot d’un marché à la fois aux opérateurs économiques qui répondent aux conditions de l’article L. 2113-12 et à ceux qui répondent aux conditions de l’article L. 2113-13 ».
Cet article résulte d’un amendement proposé par un député du groupe LREM et adopté le 2 octobre 2020 à l’Assemblée Nationale avec l’accord du Gouvernement.
Il a été motivé comme suit : « La suppression du caractère exclusif des deux types de réservation permettra d’alléger les contraintes des acheteurs dans la mise en œuvre de leur politique d’insertion par la commande publique et encouragera la constitution de groupements d’entreprises par les acteurs des différents secteurs pour répondre ensemble aux appels d’offres ».
Était-il nécessaire ? Est-ce une bonne chose ?
La nécessité était toute relative car il y avait peu de voix qui s’élevaient pour demander cette modification du côté des réseaux du handicap ou de l’insertion. Quant aux acheteurs, on a peine à croire qu’ils aient été force d’impulsion, compte tenu de leur grande frilosité en matière de marchés réservés. A cet égard, l’argument de l’allègement des contraintes pour expliquer l’abstinence des acheteurs publics sur le sujet, peut faire sourire.
Est-ce une bonne chose ? Si cette réforme et « cet allègement des contraintes » sont de nature à encourager les acheteurs publics a utiliser davantage les marchés réservés, on pourra s’en féliciter car leur développement est lui, une absolue nécessité au regard des politiques d’inclusion. Ils sont la chance des personnes qui ne peuvent accéder aux entreprises du secteur privé, même via le dispositif des clauses sociales d’insertion, parce que trop éloignées de l’emploi. Les marchés réservés sont pour ces personnes, la garantie d’un parcours d’insertion long et accompagné dont elles ont besoin (voir mon article in Guide de l’achat responsable, Editions Dalloz, Collection Hors-Serie Juris, Juillet 2020 page 111 à 120)
Il reste une zone d’ombre ! je voudrais être certain que ce nouveau texte ne fonde que la possibilité pour les acheteurs publics d’accepter des offres en co-traitance des SIAE et des STPA, comme le laisse entendre l’exposé des motifs de l’amendement. Quand on répond ensemble par le biais de la co-traitance, on est à égalité et on est dans une stratégie de coopération dans l’intérêt des personnes qui travaillent dans ces structures.
Mais la rédaction proposée est-elle exempte d’autres interprétations plus pessimistes comme le fait de mettre ces structures en concurrence avec la volonté de trouver le meilleur opérateur, ce qui peut vouloir dire le moins cher ! Dans un contexte économique difficile où les budgets seront contraints, tous les acheteurs publics résisteront-ils à la tentation d’une marchandisation pour le moins peu éthique ?
De même, si on est à égalité dans la cotraitance, qu’en sera-t-il d’éventuelles pratiques de sous-traitance, entre les deux catégories de structures. Même interrogation, car cette hypothèse ne semble pas non plus exclue des scénarios possibles issus du nouvel article L2113-14.