Comment éliminer la déforestation de la commande publique ?

Par Philippe Schiesser,
Directeur d’écoeff lab, bureau d’études spécialisé en achats responsables

Cadre international

Depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992 (et la convention sur la biodiversité), la commande publique est vue, à juste titre, de par son poids économique et sa capacité d’entrainement du marché, comme un élément important d’une politique environnementale.

Dans le cas de la déforestation*, certains pays se retrouvent, bien évidemment, plus dans le rôle de pays importateurs qu’exportateurs. C’est notamment le cas de l’Europe, avec une part de près de 30 % de responsabilité dans la déforestation. On parle ici de déforestation « importée » ou « achetée » ou « contenue » dans les flux de matières premières, de façon directe (le bois, le papier…) ou indirecte (le soja consommé par des animaux élevés sur notre territoire, mais importé de pays à risque de déforestation).

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture** fait état d’une perte nette annuelle de 7 millions d’hectares de superficie forestière dans le monde. Les origines de la déforestation sont multiples, mais une part non négligeable est liée à notre mode de développement et à nos approvisionnements, notamment alimentaires (soja, huile de palme et cacao représentant 80 % des importations pouvant générer de la déforestation au niveau des pays producteurs).

*Selon la FAO, la déforestation résulte d’une des conditions suivantes : la conversion de terres forestières en terres non forestières résultant directement de l'action de l'homme ; la perte définitive de forêts au profit d'autres utilisations des terres ou une réduction du couvert forestier de 10% à l’hectare ; une action de nature anthropique ou naturelle, occasionnant la disparition permanente d'une forêt.
**en anglais Food and Agriculture Organization of the United Nations, FAO

La déforestation importée en France

Une étude récente* a mesuré « l’empreinte forêt » de la commande publique en notant les facteurs de risque de déforestation (« risque ») et de dépendance en surface de terre (« emprise ») et en cartographiant les matières premières/familles achats sur ces deux axes.

La Stratégie Nationale de Lutte contre la Déforestation Importée (SNDI), officialisée le 14 novembre 2018, a mis en avant la nécessité pour les 132 000 acheteurs publics de s’engager dans la mise en œuvre d’une politique d’achat public « zéro déforestation » d’ici 2022.

La SNDI poursuit 17 objectifs entre 2018 et 2030 (date cible de l’atteinte souhaitée par les Nations-Unies de 17 objectifs de développement durable, dits ODD) afin de permettre aux acheteurs publics d’éviter ou de limiter les achats présentant un risque en matière de déforestation importée.

Par ailleurs, le Ministère de la Transition Ecologique a développé une plateforme nationale de lutte contre la déforestation accessible à l’ensemble des acteurs, avec la publication d’un guide pour les acheteurs publics, dédié à ces questions.

*Etude « déforestation importée » réalisée pour le CGDD par Factor X, Envol Vert et Ecoeff Lab, 2018

Comment prendre en compte le risque déforestation en tant qu’acheteurs et décideurs publics ?

Pour atteindre ces objectifs nationaux, les acheteurs publics doivent prendre en compte le risque de déforestation importée dès l’étape de définition préalable de leur besoin. Ce questionnement préalable à l’acte d’achat doit porter sur tous les produits issus directement (bois, papier) ou indirectement (le soja, l’huile de palme, le bœuf et ses coproduits comme le cuir…) de matières premières issues de forêts mais aussi d’écosystèmes naturels remarquables.

Plus globalement encore, une véritable politique « zéro déforestation » est à construire, incluant :

  • Des objectifs globaux liés à des familles achats,
  • Une cartographie des achats à forts risques de déforestation,
  • Une étude de marché,
  • Des échanges avec des fournisseurs innovants,
  • Un système de suivi et de traçabilité robuste.

Le guide publié par le Ministère de la Transition Ecologique, auquel j’ai collaboré, donne 7 objectifs pour l’acheteur sous forme de fiches pratiques et concerne 4 grandes familles achats :

I. Restauration collective

  • Diversifier les sources de protéines (plats végétariens dans la restauration collective, voire menus complets avec des fréquences adaptées…)
  • Limiter le recours au soja et à l’huile de palme (privilégier dans le cas de non-substitution, des certifications sérieuses type RSPO et RTRS…)
  • Privilégier une viande et des produits laitiers de qualité et durables (recourir à des labels basés sur la traçabilité et la préservation de la biodiversité type Label Rouge, AOC, AOP, Bio…)

II. Hors restauration collective

  • Privilégier l’achat de café et cacao durables (mode de production responsable, traçabilité, commerce équitable, labels type Rainforest Alliance…)

III. Mobilité

  • Augmenter le taux d’usage des pneumatiques (pneus rechapés, économie de la fonctionnalité avec engagement de performance et/ou kilomètres parcourus…)

IV. Bâtiment et mobilier

  • Systématiser le contrôle des achats de bois et produits dérivés, notamment issus de zones à risques et d’espèces menacées (exploitation légale et tracée, licence FLEGT, liste d’exclusion d’essence de bois d’œuvre (CITES) et liste d’exclusion géographique, labels FSC, PEFC…)
  • Acheter du papier 100 % durable (recyclé ou gestion durable des forêts avec entre autres les labels FSC 100 %, FSC recyclé, PEFC, PEFC Recyclé, Ecolabel européen, Ange Bleu, Nordic Swan…).

Suivant le niveau d’ambition de l’acheteur public et la capacité d’innovation et de contrôle de son organisation, ces premiers objectifs peuvent être dépassés pour être en phase avec l’objectif de zéro déforestation importée en 2022.