L’impact du Covid19 sur les structures de l’économie sociale

Cet article est un résumé traduit du Rapport Social Economy Europe de Juin 2020.

La pandémie de Covid-19 qui a frappé l’Europe durant la première moitié de l’année 2020 a eu non seulement un coût élevé en matière de vies humaines, mais également un fort impact social et économique. Elle a forcé les particuliers à rester chez eux et mis les activités financières à l’arrêt, tout en exacerbant une série de fractures économiques et sociales au sein des sociétés européennes, en particulier concernant l’accès aux services et aux systèmes d’entraide. Dans ce contexte, la contribution de l’économie sociale a été cruciale. Les entreprises et organisations de ce secteur se sont démenées pour soutenir les particuliers et les entreprises, notamment les plus à risque. Elles ont fourni des soins de santé, de la nourriture et des services sociaux aux populations les plus vulnérables, un soutien commercial et financier aux petites entreprises, ainsi que d’autres services de base tels que l’accès à l’eau et à l’énergie à la société dans son ensemble.

Les structures de l’économie sociale sont innovantes, résilientes et ont un objectif sociétal fort. Tout en étant sur le front durant la crise et en offrant des solutions alternatives aux challenges économiques et sociaux, elles ont souffert de la pandémie. A la demande de la Commission Européenne, Social Economy Europe a réalisé une étude afin de donner une image claire de la situation des structures de l’économie sociale européenne au cours de la pandémie de Covid-19, ainsi que de leurs besoins dans le futur.

L’impact du Covid19 sur les structures de l’économie sociale

La quasi-totalité des répondants au sondage affirment que la pandémie et le confinement ont affecté grandement leur activité. Notamment, 71% d’entre eux affirment que la crise du Covid-19 a eu un fort impact sur l’emploi, en particulier dans les secteurs des services à la personne, de l’éducation et de la formation, ainsi que du tourisme.

Chiffres clés :

  • 31% des répondants ont dû mettre en place des dispositifs de chômage partiel.
  • 18% ont souffert d’activité réduite ou suspendue, et 14% de réduction d’heures de travail.
  • 12% des répondants ont dû licencier du personnel (dans certains cas l’intégralité de leurs
    salariés), en incluant le non-renouvellement des contrats.

Il est clair que des mesures gouvernementales telles que les plans de chômage partiel et différents types de soutiens financiers ont été cruciaux pour la survie des entreprises de l’économie sociale. Cependant, de nombreuses mesures de soutien n’ont pas été conçues pour prendre en compte les spécificités des structures de l’économie sociale. Dans certains pays (Finlande, Grèce, Lituanie) ces mesures n’étaient tout simplement pas accessibles par tous les acteurs de l’économie sociale du fait de leur statut juridique (associations, coopératives, mutuelles). Dans ce contexte, de nombreux employeurs se sont vus forcés de licencier du personnel, de réduire ou suspendre les activités et/ou les salaires, et de réduire les heures de travail. C’est pourquoi, assurer l’accès de tous les acteurs de l’économie sociale aux mesures de soutien est fondamental pour assurer leur résilience et leur capacité à de continuer à fournir des solutions innovantes aux besoins actuels les plus pressants.

Les mesures nationales et leur efficacité

Au niveau européen, certaines mesures ont eu un franc succès. C’est notamment le cas des mesures de soutien financier (comme la prime de 5000 euros accordée en Belgique), le soutien au chômage partiel, la mise en place de subventions spécifiques, le délai de paiement, l’aide logistique et l’approvisionnement en matériel de protection médical.
Pourcentages de structures répondantes ayant bénéficié d’une aide régionale ou nationale :

Les écosystèmes locaux de l’économie sociale ont également été cités comme une source de soutien importante, l’entraide entre les structures de cette économie étant parfois plus efficace encore que le soutien gouvernemental comme ce fut le cas en Pologne.

Cependant, certaines lacunes ont été relevées par les répondants. Dans de nombreux pays, un problème récurrent a été la difficulté d’accès à une information claire et qualifiée, doublée d’une certaine lenteur administrative. La nature temporaire des mesures a également été soulignée, certaines entreprises restant à l’heure actuelle dans une situation très fragile sur le plan financier. Les structures de l’économie sociale rencontrent également des difficultés sur le plan logistique, notamment concernant le stockage des produits qui doivent subir des périodes de quarantaine avant leur commercialisation, ainsi qu’une difficulté générale à s’approvisionner en matériaux de protection et à mettre en place des process de distanciation sociale efficaces.

Au niveau français, toutes les entreprises sociales ayant répondu au questionnaire ont déclaré avoir bénéficié de mesures de soutien nationales, régionales et/ou locales. En particulier, elles sont globalement satisfaites de l’information fournie par les structures de soutien à l’économie sociale et solidaire, mentionnant l’accompagnement de la CRESS (Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire) et du rôle d’interlocuteur de la Chambre française de l’économie sociale et solidaire (ESS-France). De plus, les répondants ont indiqué être satisfaits de manière générale par le soutien financier dont ils ont bénéficié (incluant les prêts bancaires, les subventions et les délais de paiements), le report de certaines deadlines et l’approvisionnement en matériel de protection. Les répondants ont également apprécié en particulier les mesures locales de soutien à l’économie sociale, avec une mention spéciale à la ville de Grenoble.

Découvrez les aides disponibles pour les acteurs engagés en France et en Ile-de-France.

Parmi les obstacles mentionnés, les plus communs étaient une certaine lenteur administrative, un manque d’information (ou une difficulté d’accès à l’information), la faiblesse des mesures locales dans certaines régions, et la nature temporaire de l’aide financière. Les associations ont semblé être les structures les plus en difficulté, car elles n’ont pas toujours pu bénéficier des mesures spécifiques aux entreprises sociales.

Recommandation pour le futur

A travers l’étude réalisée par Social Economy Europe, les structures ont émis des recommandations aux autorités publiques et aux législateurs pour permettre à l’économie sociale de surmonter la crise du Covid-19.

Accentuer le soutien financier

De nombreux répondants ont mentionné la baisse de leurs revenus comme étant leur principale difficulté. Le soutien financier est donc une des mesures les plus plébiscitées pour surmonter la crise, avec des recommandations spécifiques :

  • Améliorer l’accès aux prêts garantis*, avec des taux d’intérêt bas, à la fois au niveau national et européen
  • Prolonger les mesures de sécurité sociale mises en place suite à la crise, comme la réduction exceptionnelle ou le délai accordé dans les contributions à la sécurité sociale
  • Apporter un soutien fiscal (comme des dégrèvements d’impôts) aux structures de l’économie sociale et aux secteurs les plus touchés par la crise
  • Accorer des prêts directs aux PME pour compenser leur perte de revenus durant la période de confinement
  • Faciliter l’accès aux aides d’Etat pour les structures sociales, avec un soutien spécifique aux profils professionnels atypiques, comme les auto-entrepreneurs.

*Une garantie de prêt est une promesse faite par un garant d’assumer une créance d’un emprunteur si celui-ci ne peut pas la rembourser, et fait donc défaut de paiement.

Diversifier les mesures de soutiens

Prolonger le soutien au chômage partiel est une des demandes les plus courantes des structures de l’économie sociale. Dans un contexte de télétravail généralisé, et afin d’assurer un équilibre vie pro-vie privée, beaucoup de répondants ont également demandé que le congé parental soit exceptionnellement étendu et que des solutions de garde d’enfant soient fournies. Les répondants demandent une amélioration dans l’accès à l’information sur les mesures de soutien disponibles, avec un « guichet unique » permettant aux acteurs de l’économie sociale de trouver l’information pertinente, les supports légaux et tout autre aide utile. Les répondants ont aussi exprimé le besoin de réduire la lourdeur administrative dans l’accès à ces mesures, et d’assurer un accès digital.

Accompagner le rebond des structures de l’économie sociale

Afin de relancer les activités, plusieurs répondants (notamment dans le secteur du tourisme) ont recommandé un assouplissement progressif des mesures restrictives, accompagné d’un renforcement du système de santé et de l’approvisionnement gratuit de matériel de protection pour que les entreprises puissent assurer la sécurité de leurs travailleurs, clients et bénéficiaires. Les entreprises actives dans ce secteur ont fait des recommandations spécifiques pour s’assurer que le voyage, le tourisme et les activités culturelles soient plus sures. De plus, les répondants ont mentionné le besoin de réduire les coûts de la sécurité sociale, afin de pouvoir embaucher des employés supplémentaires.

Veiller au bien-être de tous

Beaucoup de structures ont exprimé leur inquiétude concernant la santé mentale de leurs employés et de leurs bénéficiaires, recommandant aux gouvernements d’assurer un soutien psycho-social disponible et facile d’accès, en particulier pour les travailleurs du soin et de la santé. Une recommandation complémentaire est de promouvoir une extension substantielle des services publics de santé mentale.

Proposer un soutien spécifique à l’économie sociale

De nombreuses structures de l’économie sociale ont souligné la difficulté d’accès aux mesures nationales, régionales et/ou locales, les mesures n’étant pas toujours conçues pour prendre en compte les différentes formes de l’économie sociale. Il est important que le soutien aux entreprises soit diversifié, pour s’adapter aux besoins spécifiques de chacun en fonction de la taille de l’entreprise, de leur secteur d’activité, de leur forme juridique…

La compréhension de l’économie sociale au sein des administrations publiques doit être améliorée. Dans ce but, les répondants recommandent que des acteurs de l’économie sociale soient intégrés au dialogue institutionnel et au dialogue social afin de sensibiliser aux initiatives de solidarité prises pendant et après la crise, ainsi qu’au rôle clé joué par les structures de l’économie sociale.

Pour contribuer à reconstruire l’économie de demain, la sensibilisation à l’économie sociale en tant que business model est nécessaire : les solutions de l’économie sociale devraient être encouragées et facilitées par les plans de relance. Afin de soutenir la contribution de l’économie sociale à la relance européenne, les répondants évoquent deux pistes principales :

  • Mobiliser les prêts garantis d’Etat dans les projets stratégiques d’économie sociale
  • Promouvoir un approvisionnement public socialement responsable en faisant usage des outils rendus disponibles par l’Union Européenne comme les clauses sociales et environnementales, les marchés réservés, la division en lots, … Un guide de l’UE, incluant 71 bonnes pratiques pour atteindre un approvisionnement public socialement responsable a été publié par la Commission Européenne et devrait être utilisé en tant qu’outil par les administrations publiques.

C’est la démarche de la plateforme des Canaux ESS 2024, qui vise à informer, mobiliser et accompagner les entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire et les entrepreneurs engagés pour qu’ils soient au cœur de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques, et qu’ils puissent directement bénéficier des opportunités économiques et d’emplois.

De plus, les répondants souhaitent être soutenus pour former leurs employés, en particulier sur le volet digital, et demandent une prise en compte du ralentissement des activités dans l’attribution des demandes de subvention. D’autres initiatives ont été suggérées par les répondants, incluant un soutien aux incubateurs dédiés aux entreprises de l’économie sociale.

Agir à l’échelle européenne

Beaucoup de répondants voient l’économie sociale comme une priorité dans la relance économique et sociale dont l’Europe a besoin. Pour que cela devienne une réalité, il est nécessaire de définir un cadre légal approprié à l’échelle de l’Union Européenne pour l’économie sociale, permettant aux structures de ce secteur de prospérer et d’opérer à l’échelle transnationale dans le marché unique européen.

Les répondants ont également appelé les institutions européennes à approuver un Plan de Financement pluri annuel 2021-2027 (aligné avec « New Generation EU ») qui prenne en compte la nouvelle situation socio-économique. Ce Plan doit servir de levier pour la relance économique tout en répondant aux besoins d’investissements stratégiques pour mener à bien les transitions écologiques et digitales (en particulier dans l’économie circulaire) et pour renforcer et moderniser nos systèmes de santé (qui constituent notre première défense contre les effets de la pandémie).

Des investissements sans précédent dans des projets innovants d’économie sociale devraient être mobilisés notamment via le ESF+ (European Social Found) et le ERDF (European regional development fund), en particulier dans les secteurs stratégiques tels que la santé, l’innovation sociale, la digitalisation, les services sociaux, l’inclusion, l’économie circulaire, l’industrie, la production d’énergie renouvelable, l’éducation, les transports, etc. De plus, un soutien spécifique devrait être dédié au travail d’intégration des entreprises sociales (WISEs – Work Integration Social Enterprises), pour les assister dans leur rôle d’inclusion des individus éloignés du marché de l’emploi.

L’économie sociale pourrait être promue dans les relations extérieures de l’UE par le biais du fond européen pour le développement durable et par l’intégration de l’économie sociale dans les priorités d’investissement du nouveau Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument (NDICI). De plus, l’UE pourrait fournir aux pays tiers une assistance technique (des cadres légaux pour l’économie sociale par exemple), et en encourager les gouvernements à inclure l’économie sociale dans leurs stratégies nationales afin d’atteindre les Objectifs de Développement Durable.

Enfin, Social Economy Europe pense que le Plan d’Action Européen pour l’Economie sociale, que la Commission a annoncé pour 2021, constitue une opportunité unique de mettre l’économie sociale au cœur de ses efforts pour rétablir une croissance durable et une cohésion sociale en Europe.

Social Economy Europe

L’économie sociale est faite de coopératives, de mutuelles, d’associations, de fondations et d’entreprises sociales, unies autour de la priorité donnée à la mission sociale, à la gouvernance
démocratique, à la solidarité et au réinvestissement des profits pour mener à bien les objectifs de développement durable. Social Economy Europe (SEE) est l’institution représentative de l’Union Européenne pour l’économie sociale. Cette organisation vise la promotion des organisations et des entreprises de l’économie sociale, afin de mettre en avant le rôle et les valeurs des acteurs de l’économie sociale en Europe et de renforcer la reconnaissance politique et légale de l’économie sociale et des coopératives, des mutuelles, des associations et des fondations à l’échelle européenne.